Présentation

Argument

L’objectif de ce congrès est précisément, mais pas exclusivement, de réfléchir à ces « objets comme [à des] émissaires », pour reprendre la formule d’Asa Briggs [Briggs 11], et de reconstruire les « univers intelligibles » des Victoriens et des Édouardiens [Briggs 31]. Par ailleurs, comme le souligne l’historien, la notion d’ « appropriation » d’objets qui imprégnait la société britannique encourageait un sentiment d’appartenance à une communauté. Alors que Disraeli envisageait le maintien de l’Empire et l’unité de l’Angleterre victorienne et de « ses » colonies en 1874, l’élite britannique au pouvoir agissait comme une porte d’entrée pour la culture victorienne, à la fois visuelle et matérielle, dans l’Empire. Des objets « modernes » arrivaient dans les colonies dans un mouvement inverse, sous toutes les formes et dans toutes les tailles, de la bicyclette à l’épingle à cheveux, sous forme de carreaux, d’images hagiographiques, rideaux de chintz, peignes et houppettes. Ils amenaient avec eux des changements considérables dans le mode de vie, le comportement, la façon de penser et les habitudes de dépense des colonisés. Au-delà du confort et du sentiment (ou illusion) donné au consommateur colonisé d’ « avancer avec son temps » et de s’occidentaliser, les objets, les machines mais aussi les bâtiments coloniaux (des musés aux ponts, en passant par les tours horloges et les statues dans les coins de rue) devinrent les porte-drapeaux et promoteurs trop voyants de la grandeur impériale. Mais, tout en étant des symboles de la « supériorité » technologique et inventive de la Grande-Bretagne, dans le pays comme à l’extérieur, la culture matérielle fut-elle d’une façon ou d’une autre aussi une force d’unification entre les idées et les individus vivant dans les divers espaces de l’Empire ?

            La réécriture identitaire de cette matérialité est une autre piste d’étude. Comment certains de ces objets victoriens furent-ils personnalisés lorsqu’ils quittèrent leur lieu d’invention pour être introduits dans des espaces et esprits « exotiques » ? Leur « réappropriation » causa-t-elle un « effacement » et une « réécriture » de leur identité d’origine ? Les multiples variations de cette culture matérielle occidentale dans l’espace colonial ou la façon dont l’exotisme colonial était représenté en Grande-Bretagne font l’objet de travaux remarquables, par des spécialistes telles que Saloni Mathur qui écrit que son ouvrage India by Design, Colonial History and Cultural Display (2007) est une tentative de compréhension de la façon dont les représentations du sous-continent indien se sont formées. Son étude cherche à historiciser les dilemmes culturels et épistémologiques à travers l’identification d’une série de pratiques, idées et discours d’exposition. Dans son livre Metallic Modern: Everyday Machines in Colonial Sri Lanka (2014), Nira Wickramasinghe examine les objets « en pratique », se concentrant spécifiquement sur l’arrivée de la machine à coudre dans les colonies à la fin du XIXe siècle. Elle avance l’idée que l’accès de la population indigène à toutes sortes d’objets et d’équipements a donné à cette dernière l’illusion d’accéder à une certaine forme de dignité et de reconnaissance dans la société coloniale.

            Nous invitons à l’examen du plus large éventail de domaines possible, afin d’identifier et de croiser les connaissances sur le réseau culturel impérial qui a émergé dans les sociétés victorienne et édouardienne et outre-mer. Les thèmes suivants ont été dégagés mais la liste n’est en aucun cas exhaustive.

Thème 1. Empire & Image

            La construction de l’empire à travers l’image fixe ou animée (photographie, cinéma, affiches, cartes postales, tableaux …). Il s’agira ici de voir quel type de culture visuelle était propagé, et quelles en furent les conséquences sur la perception des spectateurs et des consommateurs. L’élaboration de l’empire à travers des photographies est l’un des sujets que ce congrès voudrait aborder, auxquelles on peut associer la carte postale, autre riche medium pour stimuler les études sur l’empire, car ces cartes postales sont des objets qui dépassent la barrière des classes sociales, abolissent les différences, circulant pratiquement partout dans le monde, et diffusant ainsi n’importe quel message plus facilement qu’auparavant. L’étude d’autres supports d’image, comme les dessins humoristiques, les magazines pour garçons et filles et le cinéma naissant (F. Lacassin), sont aussi les bienvenus. De quelles manières l’invention du cinéma, qui s’est accompagnée d’une importante quantité d’objets et de machines, mais également d’édifices et de sites, a-t-elle eut un impact sur les perceptions britanniques et coloniales ?

Thème 2. D’autres objets de l’empire comme “ émissaires”.

            Objets de commémoration, de célébration, de décoration. L’énorme marché des “choses victoriennes et édouardiennes” est un champ peu défriché par les universitaires, pourtant ce sont de précieuses sources primaires qui peuvent éclairer le cadre conceptuel des Britanniques de cette époque. En effet, les Victoriens et les Édouardiens ont produit des quantités importantes d’objets en lien avec l’empire, et les guerres qui s’y sont déroulées, qui vont de la céramique et la porcelaine (assiettes, services de table, services à thé, tasses, boites et blagues à tabac), de l’or et de l’argent, du verre, des bustes et des statuettes (du Staffordshire par exemple), à des objets pour dames (bijoux, broches, épingles à cheveux, mouchoirs…) et des jouets (marionnettes, poupées, petits soldats, uniformes pour enfants…). Les objets étaient utiles ou bien des éphémères comme des boites d’allumettes, des presses papiers, des pipes, des tables, des boites de chocolat ou de tabac, des photographies, des cartes, des journaux et des magazines, des cartes offertes dans les paquets de cigarettes, des affiches, des partitions, des cartes postales, de marque-pages en soie, des tapisseries, et bien entendu des livres. De quelle manière ces objets ont-ils contribué à renforcer le penchant naturel des Britanniques de cette époque pour la culture matérielle ? À travers les questions qu’il pose, ce congrès souhaite saisir l’opportunité d’étudier la société à travers l’analyse de sources tangibles et visuelles. Quels types d’événements (conflits militaires, rassemblements…) furent célébrés ou commémorés grâce à des objets-souvenirs pendant la période de la colonisation britannique ?

Thème 3. L’empire en écriture.

            Construction littéraire et empire. Ce congrès mettra aussi en avant les liens entre empire et littérature ; l’acception du terme « littérature » doit être comprise au sens large, non seulement comme se référant aux textes canoniques de la littérature liée à l’empire, mais également à la culture dite Populaire et de masse. Les études sur d’autres formes littéraires qui ont fait l’objet de nombreux travaux, peuvent être toutefois proposées, comme le théâtre, les récits de voyages, la littérature de jeunesse et la presse [Howe 170]. À titre d’exemple, on peut se demander comment la littérature coloniale a façonné les représentations des jeunes garçons victoriens au point qu’ils aient des images glorieuses en tête en chargeant sur les champs de la Somme en 1916 [Fussel 135].

Thème 4. Exposer l’empire. Hier et aujourd’hui

            Présenter l’empire chez soi et à l’étranger. D’autres champs d’étude peuvent aussi être féconds comme le mode opératoire et la manière d’exposer l’empire (musée, expositions coloniales ou universelles, les spectacles ethniques, le cinéma, etc.) ainsi que les divers agents, au travers desquels l’empire fut diffusé, comme la guerre et l’armée [Paris], les héros [Sèbe], les femmes, le tourisme et les voyages dans l’empire, la vie dans les colonies, les missionnaires et la religion, la santé, le sport, l’art, etc.

Thème 5. Perspectives comparatistes des Empires

            Perspectives transeuropéennes sur les cultures de la diffusion impériale. La représentation visuelle des possessions impériales fut un phénomène très répandu et partagé un peu partout en Europe, en particulier au moment où le “nouvel impérialisme” atteignait son paroxysme et que l’on s’attendait à ce que la grandeur d’un pays se traduise par le déploiement des couleurs nationales sur de grands pans du monde. De vieilles puissances coloniales comme l’Espagne et la France, ou de plus jeunes comme la Belgique, l’Allemagne et l’Italie, s’enorgueillirent de leurs faits d’arme outremer. Dans ce cadre, un effort comparatif soutenu avec la Grande-Bretagne est nécessaire, afin de comprendre non seulement l’expérience coloniale européenne, mais également les spécificités des traditions impériales britanniques. En s’appuyant sur des expériences historiographiques récentes autour des concepts d’ « inter-impérialisme » [Stephen Tuffnell], d’« argument impérial » [Martin Thomas et Richard Toye] ou d’« approche cosmopolitaine de l’empire » [Berny Sèbe], ce thème examine la manière dont des approches comparatives ou trans-nationales peuvent être appliquées efficacement aux champs des expositions visuelles de l’empire.

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